Négocier une convention collective d’un supermarché : Pas si simple!

Présentation de l’épicerie

Une négociation collective se prépare dans une épicerie du Groupe Alimentation Qualité qui se situe dans l’Est de Montréal sous la bannière __________________. Elle comprend 100 salariés et 10 représentants de la direction. Parmi les salariés, 70 % travaillent à temps partiel et bon nombre de ceux-ci sont des étudiants (voir l’annexe 1 pour plus de détails). Quant aux employés réguliers, la moyenne d’âge est de 40 ans et l’ancienneté de 15 ans. Si les premiers offrent la flexibilité pour ajuster le personnel en fonction de l’achalandage et des périodes de pointe, les seconds sont généralement plus polyvalents et en mesure de mieux satisfaire la clientèle, car plus expérimentés.

Bien qu’il ne soit pas rare d’atteindre des taux de roulement de 30 % dans le secteur la situation est préoccupante dans ce magasin, car le taux est de plus de 40 %. Cette situation nuit au bilan financier en induisant des coûts de gestion de main-d’œuvre supérieurs à la moyenne des autres épiceries de la Société GAQ. Plus concrètement, on estime à 2 000$ les coûts de remplacement d’un employé qui quitte. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, la situation est d’autant plus préoccupante. Il n’est pas simple d’attirer et de retenir de bons salariés pour occuper des emplois précaires payés au salaire minimum, ou légèrement au-dessus, pour travailler le plus souvent le soir ou les fins de semaine.

Mais là n’est pas la seule problématique d’un supermarché. Considérant que la marge de profit est très faible, soit quelques sous par unité vendue, et que les coûts de main-d’œuvre représentent 7% des coûts totaux de fonctionnement, le contrôle des dépenses est une priorité pour toute entreprise qui œuvre dans le secteur de l’alimentation. Cela est d’autant plus vrai que de nouveaux concurrents, plutôt menaçants, s’ajoutent à la liste des Métro, Loblaw et Sobeys. En effet, l’implantation prévue d’un Supercenter de Wal-Mart à moins de cinq kilomètres du magasin de l’Est de Montréal, où les employés ne seront fort probablement pas syndiqués, fait craindre la perte de clients. Il y a également les pharmacies qui ne cessent d’agrandir leur section alimentation en offrant des produits à des prix très concurrentiels. La semaine dernière, le Pepsi deux litres était offert à 25 cents de moins que dans cette épicerie!

En somme, ce supermarché est confronté à plusieurs défis : attirer et retenir une main-d’œuvre compétente, contrôler ses coûts, augmenter ses ventes et demeurer concurrentiel. C’est donc dans ce contexte particulier que s’amorcera la prochaine négociation collective.

Présentation du syndicat

Le syndicat local représentant les salariés du supermarché a été accrédité il y a déjà 25 ans, soit peu de temps après son ouverture. Le certificat d’accréditation qu’il détient couvre les emplois suivants :

  • Commis qui comprend les postes suivants:
    • préposé aux caisses,
    • préposé à l’emballage des viandes,
    • préposé au vrac,
    • préposé à la boulangerie,
    • préposé à la charcuterie,
    • préposé à la poissonnerie,
    • préposé au travail général dans l’épicerie,
    • préposé dans les fruits et légumes,
    • préposé à la réception,
    • concierge
  • Aide-caissier :
    • préposé à l’emballage des commandes,
    • préposé aux commandes à l’auto,
    • nettoyage général
  • Boucher et poissonnier
  • Assistant-gérant
    • Rayon de la charcuterie
    • Rayon de la boulangerie
    • Rayon de l’épicerie
    • Rayon des fruits et légumes
    • Chef caissier
    • Chef caissier de soir

Le syndicat local est affilié aux Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC). Ce syndicat international compte au Canada plus de 250 000 membres. Il est donc le plus important syndicat du secteur privé au pays en particulier dans l’industrie de la vente au détail et des services. Au Québec, le TUAC est affilié à la FTQ et il représente, avec plus de 60 000 membres, environ 80 % des entreprises syndiquées du secteur de l’alimentation.

Cette affiliation permet au syndicat local de bénéficier de l’aide de personnes ressources pour la résolution de griefs, l’arbitrage de griefs, la négociation collective et, à l’occasion, les conflits de travail. Dans ce dernier cas, le syndicat a également accès à un fonds de grève bien garni. Une grève peut d’ailleurs faire mal à l’employeur. En effet, les pertes en ventes à l’épicerie peuvent s’élever à plus de 500 000 $ par semaine. Il y a aussi un risque de perdre de la clientèle au profit des concurrents. Il reste qu’en 25 ans, le syndicat n’a déclenché qu’une seule grève de deux jours, il y a déjà 20 ans. Il n’est pas si facile de mobiliser ses membres, en grande majorité des jeunes aux études qui ne songent pas à faire carrière comme commis ou caissier. Mais cette fois-ci, après un gel salarial de trois ans, la situation pourrait être bien différente.

Un autre enjeu que doit gérer le syndicat de l’épicerie est celui de la représentation de son membership diversifié. D’un côté, les jeunes, pour la grande majorité des étudiants travaillant à temps partiel, ont des exigences et des besoins particuliers. De l’autre, les salariés à temps plein, comptant plus d’ancienneté, manifestent des intérêts fort différents en raison de leur âge et de leur désir de faire carrière dans l’entreprise. Ces divergences ressurgissent en particulier lors des négociations collectives. Les demandes des uns et des autres exigent au syndicat de mener avec tact une négociation intra-organisationnelle.

Le contexte des négociations

Les négociations pour le renouvellement de la convention collective s’amorcent au début du mois de décembre, une des périodes les plus achalandées et les plus rentables pour l’épicerie.

La convention venant à échéance le 1er février, le syndicat a envoyé à l’employeur, le 15 novembre, un avis l’invitant à une première séance de négociation le 1er décembre. Lors de cette première rencontre, les membres du comité de négociation patronal et syndical ont fait connaissance.

Le comité de négociation syndical est composé des membres suivants:

  • Le délégué syndical des commis d’épicerie : il s’agit d’un jeune travaillant à temps partiel à l’épicerie depuis plus de 3 ans afin de payer ses études. Il s’est impliqué récemment dans le syndicat afin de faire valoir le point de vue des temps partiel dans les instances du syndicat. De son avis, les intérêts des jeunes, qui paient leur pleine cotisation, ne sont pas suffisamment représentés par l’exécutif syndical dominé par des « vieux temps plein ». Il a reçu l’appui de ses collègues à temps partiel pour bien représenter leurs intérêts à la table de négociation.
  • Le secrétaire-trésorier du syndicat local : il s’agit de l’assistant-gérant du département des fruits et légumes. Il travaille à l’épicerie, à temps plein, depuis plus de 10 ans. Il est fidèle et loyal à son employeur et souhaite y faire carrière encore longtemps. À titre d’assistant-gérant, il comprend bien les préoccupations des salariés, mais aussi de la direction. Il est sensible aux enjeux de la concurrence qui pourraient mettre en péril la pérennité de l’entreprise. Il est par ailleurs convaincu que de bonnes conditions de travail sont bénéfiques aux deux parties, car elles sont à l’origine d’une plus grande satisfaction des employés laquelle favorise la productivité et la qualité du service à la clientèle.
  • Le président du syndicat local : il s’agit d’un des bouchers du supermarché qui y travaille à temps plein depuis plus de 15 ans. Lors des dernières négociations, il a été fortement contesté par ses membres en raison du gel salarial négocié pour trois ans. Il a d’ailleurs failli perdre son poste de président lors des dernières élections. Pour cette nouvelle négociation, il est résolu à améliorer les conditions de travail de ses membres. L’épicerie ayant renoué avec la rentabilité, c’est le moment de mettre en valeur ses talents de négociateur.
  • Un représentant des TUAC : Cumulant plus de 20 ans d’expérience en négociation, celui-ci joue un rôle d’expert-conseil auprès du comité de négociation syndical. Il connaît très bien l’industrie de l’alimentation ainsi que les conventions collectives qui ont été négociées dans les autres supermarchés de cette chaîne ou de ses concurrents syndiqués. Il est appelé à donner son avis sur le caractère raisonnable ou déraisonnable des propositions patronales, mais aussi des demandes syndicales. Il s’assure également que l’entente négociée soit acceptable pour les TUAC compte tenu des standards dans le secteur. Il doit donc s’assurer que les conditions fixées par les parties respectent les minimums des autres conventions collectives du syndicat (voir les conventions collectives sur le site web du cas)

Le comité de négociation patronal est composé des membres suivants :

  • Le directeur de l’épicerie : il occupe ce poste depuis quatre ans. Dans les années passées, il a été directeur d’autres supermarchés de la chaîne appartenant aux trois bannières. C’est lui qui a négocié avec le syndicat la dernière convention collective. Il avait alors persuadé ce dernier de la nécessité de geler les salaires pour trois ans en raison des difficultés financières de l’établissement. À cette époque, le Groupe Alimentation Qualité songeait même à fermer cette succursale peu rentable. Il a toutefois réussi à convaincre les dirigeants de la société de lui donner trois ans pour redresser la situation. Il a remporté son pari en révisant la stratégie de marketing, en réaménageant l’épicerie et l’organisation du travail, en contrôlant les coûts et en sensibilisant les employés à la nécessité de redoubler d’effort pour assurer la pérennité du magasin. Maintenant que les profits sont de retour, il s’attend à ce que les employés qui ont contribué au succès exigent une amélioration de leurs conditions de travail, au plan salarial en particulier. Bien qu’il ne soit pas contre le principe de récompenser son personnel, la situation demeure précaire avec la compétition sans cesse grandissante. Autrement dit, la prudence est de mise.
  • Une conseillère en relations du travail du Groupe Alimentation Qualité : son rôle consiste pour l’essentiel à s’assurer que les balises et l’enveloppe budgétaire fixées par la Société soient respectées lors de la présente négociation. Elle veille du coup à ce que les conditions négociées, principalement celles qui ont une incidence financière, ne soient pas supérieures à celles des autres épiceries de la chaîne. Elle doit donc empêcher que les parties ne créent un précédent que le syndicat ne tarderait pas à exiger aux autres tables de négociation.
  • Le gérant des caisses : il travaille depuis 10 ans à l’épicerie et il a occupé à peu près tous les postes existants. Il comprend donc bien la réalité quotidienne des salariés : horaires atypiques, clients difficiles… De par son rôle, il est appelé à interagir au quotidien avec les salariés et le syndicat. Il entretient d’ailleurs de bonnes relations avec ce dernier qu’il cherche d’ailleurs à préserver. Plutôt conciliant, il est préoccupé par les conséquences pratiques des demandes syndicales.
  • Le gérant des fruits et légumes : il travaille depuis deux ans à l’épicerie. Auparavant, il occupait le même poste chez un concurrent. Contrairement à son collègue, il entretient des relations plutôt froides et tendues avec le syndicat. Ses expériences passées ayant été négatives, il est peu enclin à la collaboration patronale-syndicale. Il est plutôt de la vieille école favorisant une gestion ferme et autoritaire des subalternes.

Après s’être présentées, les parties ont brièvement exposé leurs principaux enjeux. L’employeur a amorcé l’échange en insistant sur la nécessité de garder le cap sur le contrôle des coûts et d’introduire plus de flexibilité dans la gestion du personnel. Il a pris soin de rappeler que les concessions consenties par le syndicat lors de la dernière négociation ont contribué significativement au redressement de la situation financière du magasin. Toutefois, et en dépit des résultats financiers positifs de la dernière année, le directeur rappelle qu’il est impératif de poursuivre une gestion serrée des dépenses puisque la pérennité de l’épicerie n’est toujours pas assurée. Le Groupe Alimentation Qualité surveille d’ailleurs de près les résultats de l’établissement, particulièrement avec la venue de nouveaux concurrents à proximité. « Il est donc dans l’intérêt de toutes les parties prenantes de maintenir une gestion responsable et équilibrée pour assurer un avenir prometteur à NOTRE épicerie », conclut-il.

Le syndicat a ensuite pris la parole en remerciant tout d’abord l’employeur d’avoir reconnu la contribution du syndicat et de ses membres au sauvetage de l’épicerie. Dans cette perspective, il rappelle l’importance et la nécessité de récompenser les employés pour les sacrifices consentis lors de la dernière négociation, lesquels ont permis à l’entreprise de dégager des profits. Et contrairement au directeur, le syndicat ne partage pas ses nombreuses réserves quant à l’avenir du magasin. Le représentant des TUAC déclare à cet effet que des dirigeants du Groupe Alimentation Qualité lui ont affirmé que l’épicerie a obtenu des résultats financiers au-delà des attentes et que des projets d’agrandissement étaient prévus en raison d’une augmentation de la clientèle. La construction d’un tout nouveau projet domiciliaire à proximité a en effet contribué à augmenter significativement l’achalandage au cours des derniers mois. Compte tenu de tout cela, le syndicat dit compter sur la bonne foi de l’employeur pour redistribuer aux employés les retombées positives de leurs concessions passées.

La prochaine séance de négociation est prévue dans une semaine. C’est à cette occasion que les parties présenteront leurs demandes respectives et que débuteront les véritables négociations.
La suite des événements et la conclusion d’une nouvelle convention collective vous appartiennent…

Annexes :